"Regardons les jeunes comme des atouts !"
 

"Regardons les jeunes comme des atouts !"

par Kogito.fr. Le 25/01/10 12:54.
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L’interview du sociologue Philippe Labbé
Philippe Labbé, du cabinet GESTE, est intervenu à Tours en novembre dernier face au réseau régional des Missions locales - PAIO du Centre sur le thème "Jeunes et entreprises : entreprendre ensemble". Il répond ici aux questions d’Etoile.

Qu'en est-il aujourd'hui des difficultés entre les jeunes et les entreprises ?

P.L. : Divorce ou séparation de corps… La grande majorité des sortants de formation initiale trouvent à s'employer ; on regarde donc du côté de ceux qui piétinent dans "le labyrinthe de l'insertion". Mais deux grands problèmes affectent presque tous les jeunes. Premier problème, le déclassement : des embauches de jeunes surqualifiés. Second problème, la précarisation : en gros, 8 embauches sur 10 se font en CDD, loin de se transformer tous en CDI ! Il faudrait sans doute ajouter les représentations communes des acteurs économiques sur les jeunes : alors qu'ils privilégient pour les recrutements le niveau de diplôme (avec la tentation du Bac +5 polyglotte pour un poste de caissière) et le "savoir-être", ils considèrent bien souvent que ce dernier n'est pas conforme aux exigences de l'entreprise : "les jeunes ne s'investissent pas… on ne peut pas compter sur eux… etc." Regarder les jeunes comme ressources et atouts, non comme problèmes, est déjà faire la moitié du chemin.

Comment définir la place des Missions locales parmi les opérateurs concernés ?

P.L. : Missions locales, Pôle emploi, insertion par l'activité économique : ces "intermédiaires de la politique de l'emploi" développent leur action à partir de différents critères : le territoire d'intervention, le public et le service. L'emploi étant un vaste champ, on a multiplié les acteurs de la médiation au titre de la spécialisation … jusqu'au constat actuel oscillant entre l'empilement des structures et des dispositifs - qui pose un double problème de lisibilité et donc d'accessibilité - et les doublons qui posent un autre double problème d'efficacité et d'efficience. Changer cette situation implique qu'il y ait plus de coopération, que les rôles soient clairement identifiés et que les pouvoirs publics désignent un "chef d'orchestre". Pour les jeunes rencontrant des difficultés d'insertion, selon l'article 13 de la loi de cohésion sociale, ce sont clairement les Missions locales. Cette place décidée par le législateur me fait d'ailleurs émettre beaucoup de réserves sur la notion d'"opérateur".

En quoi consiste le rôle de ce "chef d'orchestre" que sont les Missions locales ?

P.L. : Leur travail est celui de tout "référent" de jeune : garantir que toutes les ressources nécessaires pour accompagner un parcours sont présentes, mobilisables et de qualité. Ce chef d'orchestre est ainsi le garant d'une cohérence, d'une harmonie pour rester dans la métaphore musicale. Chaque "musicien" (psychologue de centre de bilan de compétences, formateur, chargé de relation entreprises, etc.) a sa place et l'ensemble joue sur un territoire. Coopération et gouvernance, territorialisation et cohérence, tout cela constitue ou devrait constituer partout la mise en œuvre du droit à l'accompagnement. Evidemment et en-dehors de ce que dit la loi, trois caractéristiques légitiment les missions locales : elles sont "locales", donc territoriales ; elles travaillent pour les jeunes ; enfin, elles s'appuient sur une conception "holistique", que l'on nomme l'approche globale, et à ce titre sont particulièrement bien placées pour coordonner des services spécialisés mais, par définition, sectoriels.

Quel est l'enjeu de la réussite de cette complémentarité "jeunes - entreprises" ?

P.L. : Confrontées à des pyramides des âges inversées et à des risques d'hémorragie de la technicité et du savoir-faire, les entreprises ont besoin d'une force de travail, du dynamisme et de l'adaptabilité des jeunes. Ils ont eux besoin d'avoir leur indépendance économique et de construire leur identité sociale en s'appuyant sur un travail. Production, cohésion sociale, solidarité intergénérationnelle : l'enjeu est donc multidimensionnel. Reste la question du comment faire, au-delà des bonnes volontés. On change par conviction, intérêt ou contrainte. Il existe des employeurs convaincus et des employeurs qui recrutent des jeunes avec une vraie politique de RH. Ce n'est pas suffisant : depuis plus de 25 ans, l'insertion reste une "galère", socialement injuste. Il y a eu un "Grenelle de l'insertion" et c'est bien. Mais à ce stade de quasi-rupture, il en faut plus. Cela renvoie à une question centrale pour l'avenir de nos sociétés : de quelle économie voulons-nous ? Je vous laisse le soin de la réponse…

Quelques liens pour aller plus loin

Blog de Philippe Labbé - Article sur sa conférence du 23 novembre à Tours
Le texte intégral de l'interview de Philippe Labbé